L’employeur est tenu d’établir et de remettre aux salariés un bulletin de paie lors du paiement du salaire. Le contenu d’un bulletin de salaire, qui est défini par l’article R. 3243-1 du Code du travail, doit notamment comporter le nom et l’emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle qui lui est applicable, la position du salarié étant notamment définie par le niveau ou le coefficient hiérarchique qui lui est attribué.

Il s’ensuit que si l’employeur, en tant que collecteur des données personnelles figurant sur les bulletins de paie de ses salariés reste responsable au premier chef du traitement des données, la communication par l’employeur de tels documents et leur mise à disposition d’un salarié invoquant une discrimination syndicale, ordonnée par une juridiction prud’homale, ressortent d’un traitement effectué dans une finalité différente de celle pour laquelle les données ont été collectées et doivent dès lors être fondées sur le droit national, constituer une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique, au sens du RGPD, et garantir la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires et l’exécution des demandes de droit civil.

S’agissant d’une discrimination en raison des activités syndicales, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît la liberté syndicale et ce motif de discrimination est expressément visé, en droit interne, par l’article L. 1132-1 du Code du travail, ce code précisant par ailleurs à l’article L. 2141-5, en son premier alinéa, qu’il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. L’interdiction d’une différence de traitement en défaveur d’un salarié, notamment dans son évolution de carrière et de rémunération, en raison de ses activités syndicales, répond ainsi à la liberté syndicale garantie par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale.

Il en résulte qu’il appartient en premier lieu au salarié, demandeur à l’action en discrimination, de présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Faisant sienne la conclusion de l’avis de la chambre sociale sur ce point, la deuxième chambre civile en déduit que le traitement résultant de la communication par l’employeur, ordonnée par le juge, de documents comportant des données personnelles, tels des bulletins de paie des salariés tiers, et leur mise à disposition d’un salarié invoquant l’existence d’une discrimination syndicale, ordonnées par la juridiction prud’homale à titre d’éléments de preuve, répond aux exigences de licéité au sens des articles 6 et 23 du RGPD.

Mais la CJUE a dit pour droit que les dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) doivent être interprétés en ce sens que lors de l’appréciation du point de savoir si la production d’un document contenant des données à caractère personnel doit être ordonnée, la juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts des personnes concernées et de les pondérer en fonction des circonstances de chaque espèce, du type de procédure en cause et en tenant dûment compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de la minimisation des données à caractère personnel.

Il appartient au juge saisi, en référé ou au fond, d’une demande de communication de documents concernant des tiers à l’instance et contenant des données à caractère personnel :
– de rechercher, d’abord, si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux des personnes physiques concernées, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel ;
– de vérifier quelles mesures sont indispensables au droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi et, au besoin, de limiter la communication et la production des pièces ;
– enfin, de veiller au principe susmentionné en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation, sur les documents à communiquer, de toutes les données à caractère personnel non indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ;
– de faire injonction aux parties de n’utiliser les données personnelles des tiers à l’instance, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action pour lesquels ils ont été sollicités.

En matière prud’homale, conformément à l’avis de la chambre sociale, il appartient au juge saisi, à l’occasion d’une action engagée devant un conseil de prud’hommes par un salarié alléguant des faits de discrimination, d’une demande de communication de documents contenant des données à caractère personnel aux fins de caractérisation et de réparation de la discrimination :
– d’abord, de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ;
– de cantonner, au besoin d’office, le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées ;
– de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation, sur les documents à communiquer par l’employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ; pour ce faire, il lui incombe de s’assurer que les mentions, qu’il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination ;
– de faire injonction aux parties, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 51 et 52, de n’utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination.

En l’espèce, encourt la cassation l’arrêt qui, pour ordonner à l’employeur de produire des historiques de carrière et des bulletins de salaire de neuf salariés nommément désignés et de justifier de ce qu’elle les a communiqués contradictoirement au demandeur, l’arrêt retient que le conseil de prud’hommes a ordonné de lui communiquer les historiques de carrière ainsi que des bulletins de salaires afin que ce dernier puisse exercer sa défense, que dans le cadre de l’exercice de ce droit, il est admis que le salarié peut comparer son évolution de carrière à celle de collègues engagés dans des circonstances équivalentes et qu’ainsi, la production d’éléments portant atteinte à la protection des données à caractère personnel est non seulement indispensable mais aussi l’unique moyen pour le demandeur d’exercer son droit à la preuve et cette atteinte est proportionnée au but poursuivi, en l’occurrence, l’exercice de sa défense, alors qu’il appartient au juge de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel et de faire injonction aux parties de n’utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination.Sources :

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